comment sortir des logiques guerrières

Patrick Viveret est conseiller à la cour des comptes, et publia en 2001 un rapport sur les nouveaux facteurs de richesse pour le Secrétariat d’État à l’Économie Solidaire.


Au sein du petit ouvrage “Comment sortir des logiques guerrières ?“, il restitue une récente conférence-débat de l’Association Emmaüs, où il apporte des éléments de réflexion et d’action à propos du fondamentalisme marchand.
Ce thème figure parmi les sujets d’inquiétude exprimés par Daisaku Ikeda lors de sa proposition pour la paix du 26 janvier 2008[1], à savoir la dérive vers le fondamentalisme, qu’il soit religieux, ethnocentrique ou idéologique, tel que celui du marché.
Pour Viveret, la dérive vers le fondamentalisme marchand a commencé lorsque la distinction entre économie de marché et société de marché a commencé à s’estomper. Dans l’ordre économique, coexistent l’économie publique de redistribution, l’économie du don (qu’Hazel Henderson nomme "économie de l’amour"), et l’économie de marché.
Quand l’économie de marché sort de son lit, elle inonde et marchandise d’autres ordres de liens humains fondamentaux (politiques, familiaux, amicaux) qui relèvent d’autres logiques, comme les liens filiaux, l’amitié, l’amour, le débat et la recherche de sens. En passant d’une économie de marché à une société de marché, la substance même des liens politiques, des liens de réciprocité ou de recherche de sens se trouvent attaqués. Même si une relative prospérité peut faire illusion durant une période limitée, ces liens évoluent de manière régressive. Ainsi la politique régresse vers la guerre, la recherche de sens vers la quête identitaire ou nationaliste.
N’étant désormais plus régulée par les États-Nations, cette marchandisation de tous les domaines, en faisant de l’économie spéculative, au détriment du travail, la principale source de richesse, déstabilise les membres des classes moyennes, et renforce chez eux une tendance émotionnelle à se retourner contre les plus faibles. La guerre économique se transforme alors en guerre sociale, et la peur offre un chemin tout tracé aux dirigeants autoritaires qui proposent des solutions simplistes et des boucs émissaires. On retrouve ici un écho à l’avertissement de Platon dans la République reformulée par Daisaku Ikeda : en entretenant une multitude de désirs, la démocratie risque de régresser vers la tyrannie.
Pour Viveret, notre problème ne vient pas de la rareté des biens, mais plutôt leur abondance. Et c’est le mal être issu d’une dépression nerveuse collective qui nous empêche de gérer cette abondance et nous entraîne à créer artificiellement la rareté et par conséquent à nous engouffrer dans cette guerre économique.
La concurrence signifie étymologiquement courir ensemble, dans le sens d’une émulation coopérative, sans cependant exclure quiconque de la course, ce qui n’est cependant plus le cas dans cette guerre économique.
Viveret propose la mise en œuvre de stratégies non-violentes à l’échelle de la société civile mondiale, afin de remettre l‘économie de marché dans son lit.
Fondamentalement, l’homme aspire au bien-être, qu’il exprime par le désir de beauté, de paix et de sérénité dans son rapport à la nature, à autrui et à lui-même. Cependant, notre soif de bien-être reste enfouie sous notre servilité au mal être, qui se manifeste par les budgets démentiels que l’humanité consacre à la guerre, à la toxicomanie et la publicité.
Nos désirs d’être sont convertis en désirs d’avoir, et ceci nous amène à situation si bien formulée par Gandhi :
"Il y a assez de ressources sur la planète pour répondre aux besoins de tous mais pas assez pour satisfaire le désir de possession de chacun."
C’est donc à nous questionner sur le sens du bonheur personnel que Patrick Viveret nous amène au cours de cette lecture, tout en nous invitant à être acteur du projet qu’il intitule NANOUB : “Nous allons nous faire du bien“. En comptant sur la force illimitée du désir de bien-être, et en comprenant le bonheur comme un art de vivre, Viveret considère que seules des stratégies transformatrices organisées autour du mieux-être peuvent constituer une réponse positive au mal être général issu de notre misère affective et spirituelle.


[1] Ikeda Daisaku,2008. Humaniser la religion, créer la paix. Proposition pour la paix du 26 janvier 2008. Discours et entretiens de Daisaku Ikeda n°197, 05-2008. ACEP.